A la recherche des chaussures égarées

Azilyss laissa docilement Tsuki s'occuper de sa main, de peur qu'un mouvement brusque répande un peu plus de sang, et écouta sa réponse :

- Un peu. Faîtes attention il ne faudrait pas que sa s'infecte.

Elle hocha la tête et repassa ses doigts sur le bandage pour vérifier qu'il tenait bien, en assurant à Tsuki qu'elle surveillerait la blessure de près. Minuit devait être passé, et son bref somme songeur n'avait en rien rattrapé sa fatigue. Azi d'un rire proche de l'hystérie mais chercha à se calmer presqu'aussitôt.

-Navrée, s'excusa-t-elle, j'aurais du faire attention. Je me suis blessée vraiment bêtement !

Elle s'allongea à même l'herbe, le crâne lourd et rendu douloureux du fait du manque de sommeil. Comme à son habitude elle remonta ses genoux contre son absence de poitrine et enfouit son visage le plus possible dans son pull. Là, elle ne craignait plus rien. Ses mains agrippèrent ses jambes et, dans cette posture d'auto-protection, Azilyss décida qu'elle ne bougerait plus tant qu'elle n'aurait pas dormi.

Profondément enfoncée dans son sommeil, Azi ne remarqua rien des déplacements de Tsuki. Tandis qu'il chassait, elle vogua de rêve ne rêve comme à son habitude, et pris garde à ne pas laisser les cauchemars l'envahir. Elle se rappelait vaguement, au travers cette brume de songes, le dernier qu'elle avait fait, et luttait pour ne pas évoquer trop fort ce souvenir. Peu à peu elle glissa à nouveau vers la réalité et son esprit reprit un chemin stable. Elle se demanda si Tsuki était toujours là, si en ouvrant les yeux elle ne risquait pas de se retrouver seule. Prise d'un semblant d'appréhension, elle décida de garder ses paupières closes encore un peu, et pensa à ce que son ami lui avait révélé. L'espace d'une seconde il lui sembla étrange de craindre son absence au lieu de sa nature, mais bientôt elle renia cette idée. Elle n'avait aucune raison d'avoir peur, elle en était persuadée. Rassurée, elle inspira doucement l'air frais de la nuit, et reconnut l'odeur du tabac de Tsuki. Azilyss ouvrit les yeux et s'assit. Dans la semi-pénombre, elle vit le bout de la cigarette se consumer, et reconnut bientôt les traits de son ami.

- Vous étiez parti ?, lui demanda-t-elle machinalement, d'une voix encore ensommeillée.

Dans son état, on aurait pu se demander si elle attendait vraiment une réponse. Le jour se lèverait dans quelque heures. Il faisait sombre encore mais, caressant l'horizon, une vague lumière commençait à se traîner vers le ciel.

Alors que Tsuki reprenait place auprès d'elle, Azilyss achevait de se réveiller. Ainsi, lorsqu'il lui annonça qu'elle pouvait se rendormir en paix, elle éclata de rire et se redressa sur un coude.

- Ca y est, je suis parfaitement reposée à présent ! s'exclama-t-elle.

L'occasion de regarder le soleil se lever lui avait manqué durant des années, et pour rien au monde à cet instant elle n'aurait voulu fermer les yeux. Elle partagea le silence du Vampire, non sans se demander à quoi il pouvait bien songer, tandis qu'elle-même se contentait de boire doucement de ses grands yeux de jade la brillance décadente des étoiles. Les demoiselles d'honneur de la Lune se retiraient avec grâce et lenteur, la tête basse, pour laisser un chemin encore parsemé d'une vague luminescence au père du jour. Le lever était indolent, le Soleil devait être las de se jeter ainsi à l'assaut du ciel pour assurer chaque nouvelle aurore. Azilyss ne lui en voulait pas. Pour une fois, les yeux humains avaient le temps de s'émerveiller.
Elle finit par jeter un coup d'œil à Tsuki. Combien d'aubes avait-il bien pu voir passer ainsi ? Il ne semblait pas prêter attention à ce qu'il entourait. Sans doute pensait-il. Son visage s'était fermé et Azi ne pouvait scruter ses traits sans ressentir un trouble d'ignorance. Elle se sentait comme une toute petite enfant dans un immense musée. Chaque toile qu'on lui présentait - chaque expression que pouvait arborer la face du Vampire - lui était abstraite. Et l'abstrait ne lui disait rien, ne lui soufflait pas même un indice à l'énigme vivante qui se jouait d'elle. Azilyss n'en savait pas assez pour se faire un jugement, pour donner sa propre signification au tableau qu'elle observait en quête vaine de réponse. Tout ce qu'elle savait, c'était poser des questions.

- Quel âge avez-vous ?, chuchota-t-elle.

J'avais l'impression de passer pour un abruti après lui avoir dit de dormir alors qu'elle était reposée, elle n'avait pourtant pas beaucoup dormi et j'en étais la principale cause je suppose. Je tournais le visage vers le soleil qui commençait à se montrer, quelques rayons de soleil nous atteignaient et je mettais ma capuche en prévision des rayons de soleil qui m'agresseraient bientôt, c'était d'ailleurs un des plus gros inconvénients à être vampire, surtout quand on aime le soleil.. Si vous êtes vampire et que vous avez le grand malheur de tomber en plein désert, si vous survivez vous aurez énormément de chance, sa m'était déjà arrivé et c'est une sensation atroce. Malgré sa, le paysage qui nous était offert était magnifique, la lueur du soleil dansait avec les ombres, une teinte orangée venait s'ajouter au jaune de la grande boule de fusion connue de tous. Je tendais la main contre le soleil comme pour l'atteindre et les pourtant faibles rayons de lumière me brulaient la paume de la main, je remettais ma main contre moi, soupirant.

- Quel âge avez-vous ?

Voilà enfin la question que moi même par moment je me posais, j'avais une idée approximative de mon âge mais j'avais arrêter de compter il y a bien longtemps. C'est ces paroles qui me plongeait à nouveau dans de longues pensées, je regardais mes mains, cherchant une quelconque ride dessus, touchais mon visage en espérant y trouver un creux, mais je touchais la peau d'un jeune homme de 17 ou 18 ans. Je comptais sur mes doigts, comme un enfant, je me mis légèrement à rire avant de regarder Azyliss.

- Je pense avoir dans les 280 années.

- Je pense avoir dans les 280 années.

Azilyss eut un petit rire nerveux, réaction machinale pour combler le silence qui aurait dû tomber le temps que l'information grimpe à son cerveau. Elle-même n'avait que seize ans. Elle tenta de visualiser deux cent quatre-vingt années sur un visage. Il n'aurait dû rester que des cendres, de la poussière de temps, du rien, de l'oubli, du néant. Elle regarda Tsuki et ses perceptions en furent troublées. C'était donc ça, un Vampire ? Un doigt d'honneur d'un blanc délicat et majestueux, levé bien haut à l'adresse de toutes les lois que le Temps avait instaurées.
A cette image, Azilyss rit de nouveau, de bon cœur cette fois.

- Eh bien vous avez du en avoir vu des choses, au cours de votre non-vie ! s'exclama-t-elle.

Elle se rendit alors compte qu'elle le vouvoyait toujours, et cela ne la surprenait pas, malgré les heures sympathiques qu'ils venaient de partager. En somme, il était plus âgés qu'elle, plus expérimenté, plus sage sans doute, et ce respect qu'elle lui devait, elle le traduisait de son mieux en s'adressant à lui de la sorte. Et puis, elle se sentait presque plus à l'aise. Un "vous" laissait tout de même une distance qui d'une certaine manière la réconfortait.