A la recherche des chaussures égarées

La Forêt . . . un havre de mystère et de paix, un bras de verdure contre lequel se nicher, se perdre et oublier, une chaleur émeraude qui vous emportait loin et à l'ombre le temps d'une promenade . . . Azilyss n'avait jamais connu de tel paradis. La solitude, le calme et le secret avaient créé ces lieux à l'image de tout ce que pouvait désirer son esprit. De sa vie à Londres, l'enfant n'avait jamais rien connu de si beau, de si désirable. Ses parents ne lui avaient pas ouverts les yeux sur la nature. De vagues réminiscences firent tanguer la barque tranquille de ses pensées, et dans l'onde troublée de son esprit se refléta l'image perdue du visage de sa nourrice. Comme elle parlait avec ferveur de ces paysages de rêves que, le temps d'une page ou deux, son imaginaire pouvait visualiser, et parfois même s'y laisser emporter, comme si depuis toujours sa réalité l'attendait là-bas. . . ! Azilyss n'aurait pu mieux comprendre les paroles évasives de la brave femme qu'à cet instant. Rien d'autre ne devait exister.
Ses pieds l'avaient fait souffrir le temps de revenir jusqu'ici, mais à présent la mousse délicate de la Forêt soignait leurs petites écorchures.

- Mes chaussures devraient être quelque part par là, déclara-t-elle en se tournant vers Tsuki.

Ils se trouvaient juste à l'orée de la Forêt et les branches des arbres étendaient sur eux une ombre bienveillante. Devant eux, ça et là, on voyait les rayons du soleil traverser le dôme sylvestre, une lumière or et émeraude tamisée qui plongeait les environs dans une atmosphère féérique et sereine.

Ils avaient marché longtemps, et Azilyss n'avait pour ainsi dire pas le moindre souvenir de l'endroit où l'attendaient ses chaussures, aussi fut-elle soulagée lorsque Tsuki proposa un autre chemin à suivre. Elle commençait à craindre que la nuit tombe bientôt, mais le soleil jouait encore avec le feuillage pour venir caresser le sol par endroits, alors elle pressa le pas pour profiter encore un peu de ses rayons.
Bientôt leurs pas les menèrent à une clairière, et Azilyss demeura encore un instant dans l'ombre des arbres, afin de ne pas trop bouleverser ses yeux. Lorsqu'elle s'avança, des étoiles blanches dansèrent sur sa pupille, avant que son regard ne se réhabitue totalement à la lumière. Elle put alors s'extasier sur le paysage, un large sourire aux lèvres. Voyant du coin de l'oeil Tsuki rabattre sa capuche sur sa tête, Azi lui lança un regard intrigué. Il semblait pressé de quitter la clairière.

"Sa peau est sensible", se répéta-t-elle pour chasser son trouble.

A l'autre bout de l'étendue ensoleillée, là où les arbres reprenaient leurs droits, elle aperçut quelque chose qui scintillait. Une surface miroitante, de l'eau peut être, et brusquement, elle se souvint. En trois grands et joyeux bonds vers l'avant, elle rejoignit le couvert des branches et s'enfonça dans la verte obscurité, vers le bras de rivière qui passait par là. Elle retrouva sa paire de Vans posée auprès d'un petit rocher, et se demanda un instant pourquoi elle se trouvait là, incapable de se rappeler si oui ou non elle avait glissé ses pieds dans l'eau. Cela lui paraissait étrange : elle ne souvenait pas d'avoir eu les pieds mouillés aujourd'hui.
Visiblement, les alentours du pensionnat n'excitaient pas ses capacités mnémoniques. Elle saisit ses chaussures et revint vers Tsuki.

- On ferait mieux de rentrer, la nuit ne va pas tarder à tomber

Azilyss le rejoignit bientôt, tenant d'une main sa paire de chaussures et laissant Tsuki saisir l'autre. Elle ressentit la même décharge glaciale de la première fois, mais elle la troubla moins. Alors que le jeune homme reprenait sa marche, elle lança ses Vans devant elle pour ensuite glisser ses pieds dedans. Le confort humide et chauds de ses vieilles chaussures la réconforta et sans plus attendre, elle suivit Tsuki.
Ils traversèrent la Forêt en sens inverse, et Azi sentait la lumière décliner au fur et à mesure qu'ils avançaient. Déjà la fraîcheur commençait à s'insinuer entre les arbres, à ramper entre eux avec une légère brume, et ses premières craintes la rappelèrent à l'ordre.
Lorsqu'ils se retrouvèrent de l'étreinte sylvestre, Azilyss poussa un soupir. Ici, l'obscurité ne s'était pas encore durablement installée. Elle lança un regard en arrière, là où les derniers téméraires rayons de soleil se laissaient dévorer pas les ombres, puis un peu plus loin devant elle, où se dressait le pensionnat. Enfin, son regard se risqua à se poser sur Tsuki.

- Où comptez-vous aller, maintenant que le soleil ne peut plus vous atteindre ?, demanda-t-elle.

- Je ne sais pas, je décide sur le moment, et vous ?

Azilyss demeura pensive un instant. Traîner hors des bâtiments, rentrer, dormir, errer ? Elle n'avait jamais été douée pour prendre des décisions. . . Elle s'agenouilla pour faire correctement ses lacets, histoire d'éviter de perdre ses chaussures en route - chose étrange mais très courante chez elle. La fraîcheur du soir commençant à l'atteindre, elle sortit ses bras des manches de son pull pour les croiser contre son ventre, là où subsistait encore un peu de chaleur. Puis elle regarda encore le pensionnat et dis avec un soupir :

- Je crois qu'il faudrait bien que j'aille visiter ma chambre, un jour où l'autre. Le problème c'est qu'il y a déjà des gens à l'intérieur.

Elle posa un genoux à terre et posa son menton dessus, l'air pensif, les bras vides de son pull traînant par terre. Elle avait envie de rentrer pour se glisser sous une chaleureuse couverture et s'abandonner au sommeil, mais elle ne pouvait se résoudre à entrer dans cette chambre. Parfois, son esprit jouait avec les paradoxes.

Ailyss ne fit pas le moindre mouvement lorsque Tsuki referma sa veste autour d'elle. Un murmure de remerciement s'échappa de ses lèvres. Elle n'avait connu personne d'aussi attentionné depuis le départ de sa nourrice. Ces marques d'intérêt qu'on lui portait ne lui étaient pas désagréables, mais peut être devait-elle prendre garde à ne pas abuser de la gentillesse du jeune homme. Malgré cette dernière pensée, elle ne put s'empêcher de savourer les quelques minutes qu'il leur fallut pour rejoindre le pensionnat, sentant sa main glacée autour de ses doigts, et son propre bras frémir tandis qu'il la guidait.
Une fois arrivés près du bâtiment, il lui lança :

- Alors, que voulez vous faire en ma compagnie ? Si vous la désirez bien sûr.

- Je ne sais pas, déclara-t-elle. Mais votre compagnie m'est agréable.

Elle s'assit sur une marche et retira à nouveau ses chaussures. D'un doigt elle caressa à nouveau ses écorchures. L'une d'elle saignait encore un peu, aussi souffla-t-elle dessus pour calmer sa chaleur grimpante. Puis elle posa ses Vans près d'elle et s'allongea pour poser sa tête dessus. La marche de pierre avait beau ne pas être le plus confortable des lits, de là, elle avait d'un côté une vue sur la Forêt et, en levant le visage, une autre vers le ciel où les étoiles naissaient peu à peu.
La veste de Tsuki l'abritait admirablement du froid.

- Mais vous, dit-elle soudain, vous n'avez pas froid ?

Facilement distraite, Azilyss se perdit dans la contemplation des étoiles sitôt sa question prononcée. Elles brillaient encore faiblement, loin les unes des autres, mais le ciel avait été si clair ce jour que l'on ne pouvait douter de la beauté du spectacle qui surviendrait, plus tard, lorsque leurs autres sœurs s'éveilleraient. Elle entendit vaguement le mouvement de Tsuki qui s'allongeait à ses côtés, et tilta à peine lorsqu'il déposa un baiser sur sa joue. Ses yeux voguaient loin à présent, jouant à bondir de lueur en lueur, de sorte qu'à présent dansaient à ses pupilles de longues spirales endiablées, au rythme du clignement de ses paupières. A la longue, ses cils s'humidifièrent et la vision trouble lui donna l'impression d'admirer des flammes. Un bûcher céleste dévorait le ciel pour ses pupilles imaginatives. Un sourire extatique dessina le contour de ses lèvres et ses oreilles perçurent au loin la voix de Tsuki :

- Non merci, j'ai rarement froid, comme vous l'avez constaté j'ai le corps très froid de naturel.

Sa voix, comme un carillon de glace, trouva sa place comme symphonie sur la danse des étoiles. Azilyss entendit encore les sons de ses paroles se répercuter dans son crâne, et inconsciemment se mit à songer qu'il s'agissait de quelque chant astral. Elle se mit à rire. La fatigue de la journée passée commençait à se faire ressentir : lentement, elle divaguait. Mais comme en tout état de semi-sommeil non encore trop avancé, elle se sentait toujours sur cette passerelle fragile qui connecte la réalité au rêve, et savait, quelque part dans un coin de sa raison, qu'un simple clignement de paupière, avec un peu de volonté, la ramènerait au moment présent. L'élément perturbateur de son rêve éveillé fut la réaction tardive de son esprit. Elle ouvrit de grands yeux et regarda Tsuki. Non, aucun papillon de neige ne s'était posé sur sa joue. Rougissant, elle regarda à nouveau le ciel. Elle cligna plusieurs fois des paupières, en vain. Son songe était partie dans la fumée de sa réaction.
Elle se redressa sur un coude et porta encore une fois son attention sur lui. D'un geste hésitant, elle tendit la main vers ses cheveux, sembla se résigner, mais saisit tout de même une de ses mèches, pour admirer leur couleur presque blanche. Elle ne comprenait pas exactement la nécessité qu'elle avait ressentit de toucher ses cheveux, mais au fond d'elle, elle savait que cette douce texture qu'elle tenait entre ses doigts l'aidait à se persuader de la réelle existence de l'être fascinant qui lui tenait compagnie.

Ailyss se plaisait à se dire qu'à la nuit tombée, plus rien n'avait d'importance. Aussi laissait-elle ses réflexions et émotions dériver avec les dernières lumières du jour. Certes la rencontre soudaine de cet individu tout de glace en apparence l'avait fortement troublée, mais elle ne souhaitait pas le faire fuir avec ses questions.
Elle sentit son doigt glisser sur sa joue, comme la caresse du vent froid d'hiver, mais ne frémit pas cette fois-ci. Peut être s'était-elle habituée, à présent.
L'atmosphère ici lui semblait bien plus propice au sommeil que cette chambre inconnue qui l'attendait quelque part dans le bâtiment. Elle se demanda si un jour elle y pénétrerait tout de même. Les bras croisés sur son ventre, comme pour garder la chaleur contre elle, et la tête confortablement posée sur ses vieilles chaussures, Azi se laissa sombrer doucement.

- Bonne nuit la Lune . . ., lança-t-elle, presque imperceptiblement, comme au temps ou sa nourrice veillait à son sommeil.

Et ses paupières se fermèrent sur ses yeux de jade, tandis que sa respiration s'installait sur un rythme stable. L'effarante simplicité avec laquelle elle s'était adonnée au sommeil entraîna tout aussi naturellement une nuée de songes. Brièvement, son inconscient ressassa les évènements de la journée, les classant habilement au fond de lointains tiroirs, avant de se mettre à jongler avec tout ce qu'il avait pu amasser aux cours de ses sibyllins voyages.
Ainsi, après avoir traversé quelque fleuve mauve à la recherche d'otaries volantes et joué à saute-mouton avec un troupeau de sauterelles, Azilyss se trouva propulsée dans la dimension obscure de son imaginaire. Il lui sembla un instant qu'elle s'était éveillée, et que les étoiles avaient décidé de s'éteindre au beau milieu de la nuit, plongeant les alentours du pensionnat dans une poix glauque et douloureusement silencieuse. Mais bientôt la sensation de malaise propres aux rêves la saisit, tandis que les ombres commençait à remuer, comme de vagues bosses sur la toile noire d'un tableau. Tout grouillait de mouvements indolents et reptiliens, ronde hypnotique qu'Azi dévorait des yeux avec une légère appréhension mêlée d'émerveillement. Elle sentait les formes, noires sur le noir du décor, ramper vers elle, et bientôt sur sa chair, comme pour l'étreindre toujours plus fort, et s'infiltrer un peu plus dans les pores de sa peau. Azilyss se mit à rire, et à l'extérieur de son subconscient, son corps s'était remis à frémir. Les ombres chatouillaient sa peau, en recouvrant chaque parcelle, mordillant, mordant, et dévorant bientôt dans ses veines la liqueur de vie qui s'en écoulait. Les rires se muèrent en cris de peur, et Azi s'extirpa violemment de son cauchemar, déchirant la nuit de son hurlement.
Assise en tailleur, couverte de sueur et les yeux exorbités dans le noir, elle porta sa main à son front, ses joues, ses jambes, pour s'assurer que tout était encore en place.

Tremblante, Azilyss s'abandonna à l'étreinte de Tsuki, sans trop comprendre à qui pouvait bien appartenir ces bras autours d'elle. Sa perception du réel se remettait doucement en place, au fur et à mesure que la douceur calmait son esprit tourmenté. Un songe lui avait rarement parut aussi réel et terrifiant. Pour une fois, la réalité la soulageait.

- Ne vous en faites pas, vous pouvez vous rendormir je resterais là à vous surveiller sans relâche.

Elle leva les yeux vers Tsuki en se dégageant lentement de son étreinte. Généralement, lorsqu'elle était entourée, Azi ne rêvait pas. Hors la présence du jeune homme n'avait en rien altéré les capacités de son inconscient, allant même jusqu'à les amplifier. Peut être cela avait-il quelque lien avec l'aura singulière qu'elle croyait sentir flotter autour de lui. Mais cela ne changeait rien. Il n'y était pour rien.

- Merci, Tsuki, chuchota-t-elle, comme par peur de froisser le silence nocturne. J'ai juste fait un très mauvais rêve. Ca ne devrait plus arriver.

Elle se frotta les yeux et s'adossa à la marche, pensive. Elle se rappela en frissonnant les sinistres détails du songe. Elle se demandait dans quel genre d'ouvrage obscur elle avait pu se procurer de telles idées.

Azilyss regarda la cigarette se consumer. Tsuki fumait beaucoup. Quel mal croyait-il ainsi expirer ? Son air air placide ne laissait traîner aucun signe de nervosité, il maîtrisait ses émotions à la perfection. Elle l'admirait pour cela : elle-même n'en avait jamais été capable, ou pas bien longtemps. Malgré cette fausse froideur, il lui semblait tellement humain qu'il en avait l'air irréel. Peut être était-ce cela qui l'avait troublée.
Lorsque plus aucune fumée ne s'en échappa, Azi poussa doucement la main de Tsuki qui tenait la cigarette et vint poser sa tête sur son épaule. Ici elle avait au moins un semblant de sécurité.

- Vous êtes étrange, Tsuki Yorukami, chuchota-elle. Vous avez l'air froid et distant mais vous êtes la deuxième personne la plus chaleureuse qu'il m'ait été donné de connaître au cours de ma vie.

Elle entoura ses propres genoux de ses bras, la tête contre Tsuki, le regard rivé vers les étoiles. Elle parlait sans trop songer, comme elle avait pu le faire jadis avec sa nourrice au cœur d'or. Elle n'avait pas peur d'être ce qu'elle était. Son cauchemar s'était perdu dans ses souvenir, et la nuit noire de l'effrayait plus. Un plus-qu'humain la protégeait, après tout.

Azilyss sentait le souffle de Tsuki sur son visage. C'était une sensation agréable et à cet instant elle se surprit à se sentir parfaitement bien. La nuit, l'obscurité, le silence, la chaleur et cette présence quasi-magique tout près d'elle, suffisaient à la combler. Il ne manquait rien à cet instant de féérie.
Elle capta la douceur de ses lèvres lorsqu'elles effleurèrent ses oreilles et les noyèrent de leurs paroles.

- Vous vous posez des questions à propos de moi, n'est ce pas ? N'ayez pas peur de les demander, j'y répondrais avec sincérité, vous n'avez rien à craindre de moi.

Tout son être se figea. Qu'était-ce que cela ? Une preuve que le trouble dans lequel il la mettait avait une raison cachée ? Que cette sensation d'irréalité qui panait autour de lui avait un sens ? Azilyss leva les yeux vers ceux de Tsuki. Il paraissait prêt à affronter ses questions, celles qu'elle avait peu à peu refoulées. A présent, peut-être n'était-elle pas certaine d'obtenir des réponses. Mais la curiosité la dévorait. "Vous n'avez rien à craindre", avait-il dit. Cela signifiait-il que dans un premier temps elle aurait dû se méfier ? Son esprit tournoyait follement. Fort heureusement, elle était assise, sinon serait vite tombée.
Elle se redressa un peu pour faire face à Tsuki et tendit une main vers son visage. Elle la posa sur sa joue, ses doigts frémissant au contact de la peau froide, et le regarda dans les yeux, indécise.

- Mais qu'êtes-vous donc ?, finit-elle par demander.

Azilyss avair posé un bras sur l'épaule de Tsuki tandis qu'il se rapprochait à nouveau de son oreille. L'appréhension montait dans ses entrailles, et des idées folles traversaient son esprit, vite repoussées, tandis que les lentes secondes la rapprochaient des réponses qu'elle attendait. Progressivement sa main se crispa sur l'épaule du jeune homme et elle sentait sous souffle se rapprocher du pavillon de son oreille, doucement, trop doucement.
Elle posa elle aussi les doigts glacés que Tsuki avait posés sur sa joue, les serrant un peu, comme pour lui donner courage. C'est alors que la voix douce murmura au creux de son oreille :

- Je suis un vampire.

Azilyss redressa lentement la tête, son nez effleurant celui de Tsuki. Elle plongea son regard dans ces yeux clairs qui la fascinaient tant. Avait-elle mal entendu ? Il n'y avait aucun doute en fait. Cette réponse ne pouvait être que la bonne. Azi ne bougea pas d'un millimètre. Elle ne songeait pas à s'enfuir, ni même à avoir peur. A quoi bon ? Qu'il ait été un homme, un vampire ou un fantôme, cet être, Tsuki Yorukami, était resté à ses côtés depuis des heures et à aucun instant, hormis le doute et le mystère planant sur lui, elle n'avait ressentit de la peur, ou de la méfiance.
Doucement, elle glissa sa main le long de la joue glaciale du vampire, jusqu'à son menton, et suivit le contour de ses lèvres du bout des doigts. Elle regarda les canines se découvrir et elle se rappela l'amour que lui avait enseigné sa nourrice. L'amour du différent, de l'anormal, et la simple acceptation de tout ce qui échappait à la raison.

- Au fond, qu'est-ce que cela change ?, lui demanda-t-elle.

Azilyss ne chercha pas à détourner les yeux. Certes ceux de Tsuki l'avaient toujours troublée, mais dans le cas présent, les éviter aurait pu être pris comme de la peur. Or la peur était l'exacte émotion qu'elle ne ressentait pas, et dont il lui fallait montrer l'absence. Dans une autre vie, elle n'aurait jamais espéré rencontrer un tel être. Sous la tutelle glaciale de ses parents adoptifs, elle n'avait appris qu'à rêver, pas à espérer. Et pour une fois, au lieu de l'espoir, c'était au rêve que la réalité avait accordé un temps.

- Je ne vous fait pas peur ?, demanda le Vampire.

Au fond, il devait savoir que la réponse était non, mais peut être voulait-il juste s'en assurer. Azi se demanda combien de personnes l'avaient su avant elle, combien de fois il avait murmuré les mots redoutés, et à quels sommets son angoisse avait pu s'élever. En aucun cas elle n'aurait voulu lui faire de mal, et elle savait que lui-même devait penser la même chose.
Elle répondit d'une douce douce, la plus rassurante possible :

- L'inconnu ne m'effraie pas. Il m'intrigue, il me met mal à l'aise, mais il m'attire. Vous, votre nature, êtes un bout de cet immense inconnu. Alors non, vous ne me faites pas peur. Vous m'émerveillez.

Le regard de Tsuki commençait à se faire plus pesant, et Azilyss se sentit subitement gênée. Si jamais les Vampires étaient capables de discerner les émotions humaines, elle était mal fichue. A vrai dire, elle-même se trouvait dans l'instant présent incapable de comprendre ce qui se déroulait dans son esprit. Un trouble qui allait en s'approfondissant, et dont elle ne connaissait rien. Un trouble que, peut être, Tsuki distinguait mieux qu'elle-même.
D'un autre côté, la tombée de la nuit réveillait chez elle sa bonne humeur et son caractère déjanté, aussi décida-t-elle de s'en armer pour dissimuler son malaise. Elle s'éloigna à regret de son ami et se leva sur les marches, encore tremblante après leur singulier échange. Lorsqu'elle eut retrouvé son équilibre, elle bondit de l'escalier à la terre et sautilla dans l'herbe, les bras étendus. Riant au éclats, elle se mit à tourner sur elle même en regardant le ciel, jusqu'à ce que les étoiles à nouveau lui parurent tisser une vaste toile de lumière filandreuse, comme à l'instant où ses paupières menaçaient de l'emporter vers les songes. Bientôt, elle ralentie et, déboussolée, se laissa tomber lourdement sur le sol, un sourire radieux aux lèvres. Sa tête tournait encore et ses idées revinrent très lentement à leur place, mais ce chamboulement lui fit un peu de bien.
Lorsqu'elle vit clair à nouveau, elle tourna la tête vers Tsuki. Elle posa ses deux mains par terre et en releva une aussitôt, pour regarder vivement sa paume. Elle l'avait malencontreusement posée sur un bout de verre. Elle saignait peu, mais elle ne put s'empêcher de lancer un regard au Vampire.
Hésitante, elle éleva la voix dans les ténèbres. Devant elle, les yeux de Tsuki brillait.

- Est-ce que mon sang vous trouble ?, chuchota-t-elle.